L’autre

Ateliers / Actions culturelles

Lycée Polyvalent Adolphe Chérioux, Vitry sur Scène
Maison de la Poésie

Apprendre, c’est prendre, vous êtes d’accord ? Alors il faut prendre la poésie à pleine main. Comme un bouquet, il faut composer le poème fleur après fleur, morceau par morceau. Certains morceaux sont plus coriaces et d’autres entrent dans le cerveau comme dans du beurre. Pas de panique.

De toute manière, il faut avoir un certain temps le poème sur un papier dans sa poche (le mieux c’est de le transcrire soi-même, la main (a) prend bien. Dans le métro, pendant la pub au ciné, à la mi-temps du match, pendant que tu fais la vaisselle, tu le sors et en apprends un bout.

Brique après brique. Patience.

Sûr, il faut y revenir ! il faut se les rentrer au marteau les mots. Répéter, répéter, répéter. Le même bout dix fois (il faut l’aimer, le poème, ça il faut l’aimer ! choisis le bien).

Dix fois le même morceau. Puis les morceaux épars, voilà qu’on les attache les uns avec les autres. Alors commence l’art du bouquet. Satisfaction !

Mais il s’enfuit comme il est entré, le rat. Et ça n’arrive pas qu’à toi, sache –le. Le poème tout juste appris s’efface, apparemment. Et on s’enlise dans l’apprentissage comme dans un marécage. On se décourage. E là, il faut la rage. Parce que c’est le moment où on sent bien qu’on va y arriver…. J’en tiens un bout et il s’enfuit de moi ! Oui, mais tu l’as dis : tu le tiens.

Alors : courage en courge !

Y revenir. Y revenir souvent. Enfin ! … cent fois sur le métier… Dans ta tête, c’est comme une cathédrale. Tu vois que commence à se bâtir une architecture qui tient haut debout par équilibre. Et ce bâti, il va falloir le ficeler. Un échafaudage. Tu dois joindre et attacher fortement les parties entre elles. Voilà le beau vrai moment. C’est le cadeau !

Mais le lendemain Patatras ! Un champ de ruine. Le tonneau est vide. Tu sais même plus le début. Putain de camion ! Et bien c’est là que ça commence à devenir intéressant : la première couche est posée, tu sais ton poème, mais tu ne sais pas aller le prendre là où il est. Tu ne sais pas où tu l’as mis, plutôt. Il faut passe à la seconde couche qui est : comment aller chercher le poème quand tu veux le dire. Non, Mais !

C’est une couche pour lier le tout. Tu dois poser des petits ponts. Repérer à la fin d’un vers un son qui revient au début du vers suivant. Tu dois crocheter, des mots entre eux par des histoires, que tu t’inventes. Tu dois compter les strophes. Tu dois poser partout ces genres de petits drapeaux de couleur qui vont automatiser ta mémoire. Et le poème tu dois apprendre à le réviser à toute vitesse. Quand tu ralentiras ensuite…. C’est du gâteau !

La mémoire, c’est une vaste maison hélas souvent inhabitée. Avant l’invention de l’imprimerie, les gens savaient ranger dans les chambres de la maison Mémoire des contes, des dictons, des poèmes, des chansons. Il faut que tu enfermes les morceaux épars de ton poème dans la même chambre. Pour cela, il faut que ton esprit ait fabriqué  une partition de petits drapeaux repérés en avance du poème à chaque ligne, à presque chaque mot. C’est le support. Le poème, lui, c’est la musique. Si ! Si ! C’est simple !

A présent, tu connais le poème que tu as choisi. Tu l’as pris. A qui ? A son auteur. Voilà que tu l’as tellement visité en long en large et en travers, ce fichu poème, que tu le connais mieux que le poète. Il t’appartient. Il est vissé en toi. Il ne bougera plus à condition que de temps en temps tu le dépoussières. Très facile. Tu peux commencer à en appendre un autre, que tu rangeras dans la pièce d’à coté. Cette nana, une bibliothèque vivante !

Mais le plus intéressant à présent, c’est de le dire, ce poème. C’est de jouir de ton joujou en ton toi caché. Vas-y donc lentement, en soignant la musique des mots que tu connais si bien. La musique ! Si tu t’abandonnes à la musique c’est parce que le poème, il sort tout seul. Et quand un mot parfois ne vient pas, tu dois l’attendre, laisser faire, il prend son temps, il a ses raisons. Et nous, nous avons du plaisir à attendre avec toi. Parce que nous goûtons la joie incroyable que tu manifestes : être traversé(e) par le poème.

Claude Guerre